Depuis les années 1980, les travaux de recherche se succèdent et montrent que les enseignant.e.s n’agissent pas de la même manière avec les filles et les garçons. Ces pratiques pédagogiques différenciées contribuent à la persistance des stéréotypes de genre, même quand ce n’est pas la volonté des enseignant.es. Nous avons tous.tes intériorisé des schémas, des croyances sexistes. Le sexisme est tellement banal et ancré que l’on ne le remarque parfois même pas.
Parmi les témoignages que vous nous avez transmis, nous en avons sélectionné deux qui illustrent ce mécanisme :
Ici, le témoignage d’Anouk évoque le stéréotype des filles plus sages, soigneuses, calmes et plus ordonnées que les garçons. Celui de Manon montre que l’enseignant·e a des attentes plus fortes vis-à-vis des filles concernant le respect des règles. L’indiscipline des garçons tend souvent à être mieux tolérée parce que vue comme inévitable. D’après le document “Outils pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école” sur le site Canopé : « comme pour l’espace physique, les garçons ont davantage tendance à occuper l’espace sonore, à intervenir sans y avoir été invités, ou à couper la parole pour exprimer leur point de vue. ». Leurs interventions tendent à être validées même s’ils respectent moins les règles de la classe, alors qu’il est souvent demandé aux filles de s’y conformer plus strictement, ainsi elles sont plus souvent rappelées à l’ordre par les enseignant.es.
Nicole Mosconi, chercheuse en sciences de l’éducation, explique que, « inconsciemment, les enseignant.es jugent filles et garçons selon un “double standard”».Ce double standard s’observe dans les attentes et les appréciations. Les enseignant.e.s tendent à juger les filles appliquées et travailleuses et s’attendent à des progrès modérés. Iels pensent en revanche que les garçons ont un fort potentiel, et que s’ils n’ont pas de bons résultats, c’est parce qu’ils ne travaillent pas assez. Les travaux de Nicole Mosconi nous apprennent également que les filles auraient en moyenne 44% du temps de parole et les garçons 56%.
« Les évaluations des élèves sont différentes selon leur sexe : à même niveau, les commentaires des bulletins de note apprécient le « travail » des filles quand les garçons « ont des capacités inexploitées » – Rapport du HCE, Formation à l’égalité filles-garçons (2017)
Les garçons sont au centre des interactions élèves – enseignant.e.s.
Lucie Despringre, dans son mémoire (En quoi le sexisme à l’école primaire peut être encouragé ou limité à travers les interactions, les outils, la répartition spatiale en classe et autour de la classe ?) observe que les enfants ont déjà intériorisé cette inégalité. En effet, les garçons ont l’impression d’être moins interrogés que les filles alors que pour les filles, la répartition de la parole semble être égale entre les deux sexes.
Par ailleurs, la chercheuse en sciences de l’éducation Isabelle Collet a observé que les filles jouent plus souvent un rôle « d’auxiliaire pédagogique », elles sont volontiers choisies pour aider les autres élèves, notamment pour canaliser les garçons. C’est ce qui est dénoncé aussi par Yuna Visentin, professeure agrégée de lettres, normalienne, et autrice (Une autre école est possible ! Déconstruire l’institution pour se libérer des oppressions (sexisme, racisme, classisme), édition Leduc, 2022) « Pour réduire les bavardages, en début d’année, on attribue souvent des places fixes aux élèves en réunissant un garçon et une fille sur une même table. On pense en effet qu’une fille et un garçon auront tendance à moins bavarder ensemble, et que la fille contribuera à calmer le garçon. Je ne jette pas la pierre à celleuxs de mes collègues qui pratiquent cette technique : je l’ai fait et je dois avouer que, la plupart du temps… ça marche. (…) Le problème c’est que, quand on sous-entend que la fille est là pour calmer le garçon, on ne se contente pas de réagir à une réalité qui nous précède : on la reproduit. »
Ces pratiques pédagogiques différenciées selon le sexe des élèves ne sont pas conscientisées par la plupart des enseignant.e.s. Nous sommes tous et toutes emprunt.e.s de biais sexistes. Sans formation sur les stéréotypes de genre, il est difficile de les voir.
Que faire ?
En tant que parent : vous pouvez sensibiliser votre enfant et lui apprendre àrepérer ces situations. La prise de conscience est la première étape, elle est essentielle ! Vous pouvez discuter ensemble des réactions possibles et également essayer d’ouvrir un dialogue avec l’enseignant.e et animateur.rice de votre enfant.
En tant que professionnel·les de l’éducation : réfléchissez à vos pratiques et formez-vous!
Dans le livre Enseigner l’égalité filles-garçons: La boîte à outils du professeur, de Fanny Gallot, Gaël Pasquier et Naïma Anka Idriss, les auteur·ices préconisent de “relever en classe les stéréotypes mobilisées par les élèves afin de les habituer à les consigner de manière critique.” Iels invitent à prendre conscience que le placement des élèves peut reposer sur des attentes différenciées. La classe peut être organisée de manière à ce que les élèves puissent aider n’importe quel camarade. Les auteur·ices conseillent d’interroger alternativement une fille puis un garçon ou de suivre un ordre précis, alphabétique ou de rangées.. Et aussi de veiller à ce que les garçons ne coupent pas la parole aux filles.
Néanmoins, il ne s’agit pas d’une question à régler individuellement, mais bien collectivement, avec des mesures politiques. Mais nous déplorons l’absence de volonté politique. Malgré les rapports successifs, les mesures ne suivent pas. Ce sont nos enfants qui sont impacté·es et le monde de demain. C’est pourquoi Parents & Féministes milite pour que les enseignant·es et les animateur·ices soient tous·es formé·es et outillé·es pour une école sans sexisme
Despringue, Lucie. Etudiante à l’INSPE (institut national du professorat et de l’éducation) mémoire : En quoi le sexisme à l’école primaire peut être encouragé ou limité à travers les interactions, les outils, la répartition spatiale en classe et autour de la classe ? (2020/2021) https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03634470/document