Les Billets Libres (« Témoignages » et « Réflexions ») ne sont pas écrits au nom de Parents & Féministes. Les propos écrits sont personnels aux auteur.es, qui préfèrent souvent rester anonymes.
Trigger Warnings : Accouchement en temps de covid-19, solitude post-partum. Ce témoignage peut être difficile à lire.
J’ai accouché au début du confinement, en plein pic épidémique.
40 SA+4 jours, aucun signe de travail, pas de contractions, rien… Peut-être que Bébé E ressent ma peur, peur de mettre au monde un enfant en plein confinement, en plein pic épidémique d’une maladie complètement inconnue…
10h30 rdv pour un monitoring, j’attends seule pendant 1 heure, le temps de désinfecter la pièce du monitoring. 1 heure avec un masque en train de suffoquer, alors que mon mari est dans la voiture, seul lui aussi. J’apprends alors que le papa ne pourra être présent que les 2 heures après l’accouchement, il sera interdit en visite.
Je m’effondre en larme, seule dans cette salle d’attente, toujours en suffoquant dans mon masque… J’appelle le papa pour lui apprendre cette triste nouvelle… J’avais tellement mal au cœur, lui essaie de me rassurer tant bien que mal par téléphone, sans câlins, sans bisous, sans contact juste par téléphone, me dit que c’est pas grave que c’est pour notre bien. Mais je savais qu’il était tout aussi dévasté que moi, nous qui attendions si impatiemment l’arrivée de notre bébé E, si souvent imaginé son visage…
Je passe enfin au monitoring, en pleurs encore, la sage-femme qui me demande « mais qu’est ce qui vous arrive », je lui explique que je suis dévastée d’apprendre que je serai seule, que son père va louper les premiers jours de sa vie.
Elle me répond cette phrase que je n’ai pas arrêté d’entendre et qui me donne envie de hurler à chaque fois que je l’entends « Au moins il sera présent pour votre accouchement, vous avez de la chance ». Pardon ? De la chance qu’il soit présent à la naissance de son enfant ? J’estime que c’est normal, pas de la chance…
Je demande alors un déclenchement de convenance, je ne veux plus être enceinte, j’en ai marre, je veux que ça s’arrête, je veux juste rentrer chez moi avec mon mari et bébé E dans mes bras, stop je craque…
13h30 on m’installe en salle d’accouchement, seule encore une fois car papa doit emmener mes affaires en chambre. J’ai arrêté de pleurer, mais je veux juste voir mon mari, j’ai besoin de réconfort après 3 heures de pleurs…
Vient le moment de la péridurale, l’anesthésiste rentre énervé, au téléphone, dans la salle d’accouchement, à propos de masques ou je ne sais pas quoi, j’ai à peine le droit à un bonjour… On me dit de m’asseoir, on me trafique je ne sais pas quoi dans le dos, on m’explique rien, trop occupé à rouspéter par rapport à ces foutus masques et ce foutu Covid… Personne devant moi pour me soulager pendant la pose de la péri, à essayer de me détendre, de me soulager, me rassurer… Tellement que je suis stressée je fais un malaise, on me dit de me coucher sur le côté que ça va passer, toujours pas un geste tendre, une petite caresse, un regard, une petite phrase rassurante… Je regarde le mur en attendant que ça passe, je demande où est mon mari, on me dit qu’on va le chercher… Puis on l’a oublié, encore une fois, le père est mis à l’écart…
14h15 il arrive enfin ! Je suis tellement heureuse de le voir ! Puis je me remets à pleurer en pensant aux prochains jours… Lui qui fait au mieux pour me rassurer, même si on sait tous les deux qu’on a le cœur brisé.
Bébé E arrive enfin ! Coucou mon petit ange, tu es à croquer ! Ta petite bouille me fait fondre, ton regard perçant me réchauffe le cœur !
2 heures s’écoulent, nous sommes tous les 3, papa et moi on est tellement heureux de te rencontrer enfin au bout de 9 mois d’imagination, je suis sur mon petit nuage pendant ces 2 heures, je ne pense à plus rien, juste on profite tous les 3… Puis la sage-femme arrive, nous annonce l’heure de monter en chambre, l’heure de la séparation…
Papa et moi on se regarde, la tristesse se lit sur nos regards… Je m’assoie sur mon fauteuil roulant avec mon bébé dans les bras, et on me place dans l’ascenseur, sans nous laisser le temps de se dire au revoir, papa n’a même pas pu lui faire un dernier bisou, les sages-femmes en ont rien à faire, continuent de se parler entre elles, sans penser à nous. On se regarde, les deux avons les larmes aux yeux, puis les portes se ferment… J’essaie de me concentrer sur ce petit être totalement dépendant de moi. En chambre je me retrouve seule, dans le noir pour ne pas déranger bébé E qui dort.
Je souhaite m’habiller et enlever cette blouse d’hôpital, et je me rends compte de la douleur que c’est de se baisser après une péridurale et un accouchement voie basse. Le moindre mouvement est douloureux, je demande de l’aide. La sage-femme arrive et me dit « vous savez on est là pour les bébés, pas pour les mamans, on ne pourra pas vous aider tout le long du séjour » Oui mais normalement j’ai le papa qui est là pour nous aider, normalement une mère ne se retrouve pas seule 2 heures après son accouchement…
Je ne dors pas de la nuit…
Jour 1. Dès que je peux, j’appelle le papa en visio pour qu’il profite au maximum de son bébé… On passe des heures et des heures en visio, et puis j’appelle tout le monde en visio pour qu’ils puissent voir bébé E, le seul moyen qu’ils auront de voir ce bébé pendant plusieurs semaines… J’ai passé ma journée en visio, j’ai mal partout, prendre bébé E de son berceau est douloureux, aller au toilette est douloureux, mon bras droit me fait mal à force d’avoir le téléphone en main, mon dos me fait souffrir à cause de la péri et de me balader avec bébé E dans le bras gauche.
Bras gauche qui avait la perf posée depuis la veille 13h30 et qui ne m’a été retirée qu’à 15h30. Je ne pense pas à moi, à me reposer car je veux présenter bébé E à tout le monde. J’essaie de faire bonne figure, ne pas montrer ma fatigue, ma tristesse de me retrouver seule, le déchirement de penser que papa loupe ces premiers moments… Aucune sage-femme ne vient me voir, savoir si je vais bien dans ces moments difficiles physiquement et psychologiquement. Seulement une auxiliaire, Nathalie, qui venait me voir de temps en temps savoir comment j’allais, puis discuter 2 minutes avec moi, merci Nathalie.
Mais ces contacts sont distants et froids. Pendant 5 jours je ne verrai personne sans un masque, personne qui va s’approcher de moi avec un petit bras sur l’épaule histoire de me rassurer. Personne ne va me dire comment faire avec mon bébé, comment le prendre, lui changer une couche, le coucher, m’aider à le mettre au sein, je ferai mon allaitement toute seule, sans aide…
Le soir, la chute d’hormone n’aidant pas, je pleure, je n’arrête pas, impossible c’est plus fort que moi… Je raccroche avec le papa car je ne veux pas qu’il voit ma douleur dû à cet éloignement. Bébé E hurle, je n’arrive pas à calmer ses pleurs, ce qui me chagrine encore plus. Nous rentrons dans un cercle vicieux…
J’appelle enfin à l’aide, je ne sais plus quoi faire, bébé n’arrête pas de hurler. La sage-femme n’arrête pas de me dire « calmez-vous, pourquoi vous vous mettez dans un état pareil », dans ma tête la réponse était « à ton avis espèce de conne » mais rien n’est sorti de ma bouche. Elle me propose de garder bébé E quelques heures le temps que je prenne une douche et que je dorme un peu, « mais bon pas tous les soirs, faut que vous appreniez à vivre avec votre bébé ». Merci de me faire sentir encore plus incapable, merci de me culpabiliser.
Sous la douche, je hurle, je tape, je m’assoie par terre, je craque… Cet éloignement est en train de me consumer à petit feu, j’ai tellement mal en pensant à mon mari seul chez nous, c’est un supplice. J’ai mal physiquement car personne n’est là pour me soulager, juste une heure. Je manque clairement de sommeil car bébé E ne dort pas la nuit et le jour quand elle dort, moi je suis en visio, toute souriante. Je ne pensais pas que ce « rituel » de la douche allait durer plusieurs semaines.
Jour 2. C’est l’heure du premier bain de bébé E. Papa est avec nous en visio, merci encore à toi Nathalie de lui avoir parlé, pour essayer de le faire se sentir avec nous. Merci d’avoir rendu les choses un peu normales.
La mairie appelle, il y a un problème avec le nom de famille de bébé E. Pour l’appeler comme on le souhaite, il faut un papier, papier qu’il faut aller chercher au consulat, consulat fermé à cause du Covid… Donc bébé E n’a pas le nom qu’on souhaitait à cause de ce Covid, encore une chose que ce virus m’a pris…
Le soir je suis posée dans mon lit, en peau à peau avec bébé et en visio avec papa, quand une sage-femme rentre. Je pose alors mon téléphone pour lui parler, mais sans raccrocher pour autant. Elle me demande de raccrocher, naïvement je pensais qu’elle ne voulait pas parler de choses confidentielles devant un inconnu, je lui précise alors que c’est le papa et qu’elle pouvait parler librement, elle me répond « d’accord, mais je ne veux pas de téléphone, donc raccrochez s’il vous plaît, et éloignez ce téléphone de ce bébé ce n’est pas bon ». J’essaie de lui faire comprendre qu’un peu d’empathie ne lui ferait pas de mal, elle est alors partie sans rien dire. J’ai l’impression que personne dans cette maternité ne fait des efforts pour essayer de rendre ce séjour un minimum appréciable.
Jour 4, on sort enfin ! J’attends assise sur le lit, papa est déjà là dans la voiture à nous attendre. C’est bon, j’ai le feu vert pour sortir ! Je demande alors si mon mari pouvait venir nous aider à emmener les sacs de la chambre, on me répond alors que non. Donc 4 jours après avoir accouché par voie basse avec péridurale j’ai du porter seule mes deux valises de maternité, mon sac de la salle d’accouchement et bébé E bien sûr. Sans aucune aide. Sans une sage-femme/auxiliaire pour m’aider à porter, ou au moins surveiller bébé E pendant que je fais les allers retours jusqu’à l’ascenseur. Sans un chariot à me prêter car « il faudra que je le désinfecte après que vous l’ayez touché » .
Merci à toi, madame la femme de ménage qui m’a vue en nage en train de tout transporter, en laissant bébé É dans son berceau, sans surveillance, merci d’avoir laissé quand même rentrer mon mari pour m’aider.
Nous voilà enfin retrouvés tous les 3, ne pouvant pas nous embrasser à cause des masques. Seulement nos regards remplis d’amour et de larmes.
Maintenant je n’ai plus qu’à faire mon deuil de cet accouchement que je n’aurai pas alors que je l’ai tant imaginé. Faire le deuil de la visite de mes proches en maternité. Faire le deuil de ces 4 jours perdus par le papa. Faire le deuil de ces premières photos tellement touchantes de bébé et ses proches lors de son premier jour de vie.
Accepter que bébé E va voir ses grands parents à presque deux mois. Accepter de ne pas pouvoir présenter ton enfant à un voisin qui te demande « Ah bah vous avez accouché, alors fille ou garçon ? ». Accepter de répondre à ce même voisin « oui l’accouchement s’est bien passé, bon la solitude n’était pas facile, mais on va bien c’est le principal » à la question « comment ça s’est passé avec le Covid ? » alors que tu as envie de répondre « je suis traumatisée de cet accouchement », mais ce n’est pas socialement acceptable comme réponse.
Je n’ai plus qu’à accepter que mon accouchement a été un acte médical, plutôt que le plus beau jour de ma vie.
Maïté
2020, clinique du Mousseau à Évry
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