Les Billets Libres (« Témoignages » et « Réflexions ») ne sont pas écrits au nom de Parents & Féministes. Les propos écrits sont personnels aux auteur.es, qui préfèrent souvent rester anonymes.
Trigger Warning : accouchement au temps du covid19, maltraitance et négligences à la maternité. Ce témoignage peut être difficile à lire.
Cela fait quelques semaines que je sais que je vais devoir regarder en arrière, analyser toutes les aventures que je viens de traverser mais je n’ose pas encore ouvrir cette boîte, cette fameuse boîte de mes émotions car j’ai peur qu’elles me sautent au visage et d’avoir du mal à les accueillir, les gérer et les accepter.
J’ai accouché le 16 avril 2020, d’une formidable petite fille, sans son père et j’ai passé 5 jours à la maternité confinée seule avec elle.
Je crois qu’aujourd’hui je vais bien : je n’ai pas envie d’abandonner mon mec et mon enfant, mais dès que je repense à ces moments à la maternité, aux premiers jours de son arrivée, même s’ils sont teintés d’incroyables découvertes d’elle, c’est le torrent de larmes qui surgit.
Je n’avais pas fantasmé mon accouchement : heureusement car elle était en siège et c’est donc une césarienne qui a été programmée.
Je n’avais pas fantasmé la naissance physiologique accompagnée de son père : heureusement car avec le confinement, il n’a pas pu être à mes côtés pendant la césarienne.
Je n’avais pas fantasmé mon corps post-accouchement : heureusement car ayant fait une allergie aux antidouleurs j’ai dû supporter les suites de césarienne avec uniquement 4g de paracétamol par jour (oui oui à peu près le traitement que l’on prend pour sa gueule de bois du 1er janvier) et dans l’impossibilité de prendre des anti-inflammatoires en temps de Covid-19, donc pas d’autonomie, incapable de me lever pour changer mon bébé, des grosses difficultés à juste l’attraper dans son berceau, pour la prendre dans mes bras etc..
Je n’avais pas fantasmé l’allaitement mais je le souhaitais néanmoins : heureusement car au bout de deux jours sans vraie aide à la maternité j’ai dû passer au lait infantile.
Je n’avais pas fantasmé le séjour à la maternité : heureusement car j’y étais sans mon compagnon, confinée avec mon bébé dans sa chambre, face à du personnel soignant débordé, qui ne peut pas remplacer l’absence de tous les seconds parents qui s’occupent habituellement de seconder, soulager les mères dans les gestes quotidiens pour le bébé.
Je n’avais pas fantasmé ma relation avec les soignants : heureusement car des équipes masquées, cela fait qu’on ne perçoit pas sur leur visage les sourires réconfortants ou l’empathie dont on aurait tant besoin, et eux ne perçoivent pas sous notre masque la détresse, les larmes, les appels au secours.
Je n’avais pas fantasmé le retour à la maison ou les jours qui suivent avec les proches, le champagne pour fêter son arrivée, votre mère qui vous prend dans vos bras, vos amies qui vous demandent discrètement si vous tenez le choc : heureusement car à l’aube des un mois de mon enfant, elle n’a vu personne, nous non plus. Pas un proche pour la prendre dans ses bras quelques minutes le temps que je puisse souffler, aller aux toilettes sereinement, boire un thé.
Je n’avais pas fantasmé le premier été en tant que parents : heureusement car aujourd’hui impossible de dire si nous pourrons quitter nos 30 mètres carrés parisiens sous canicule pour voir de la famille, des amis, passer un moment convivial, recevoir des félicitations de nos proches et les voir gazouiller devant notre bébé.
Je n’avais rien fantasmé, je voulais juste le minimum. Je voulais juste le minimum de ce que veut dire avoir un enfant en 2020.
Être entourée, être bien traitée, être correctement soulagée et correctement prise en charge médicalement, être secondée les premiers jours par la personne avec qui j’ai choisi de faire cet enfant, être écoutée et respectée de la société en général qui se moquait bien des femmes enceintes à ce moment. Au début du confinement quand on me demandait ce qui allait se passer pour l’accouchement, j’avais cette vanne : « oh tant que je n’accouche pas sur la table de la cuisine en mordant dans un oignon tout ira bien. »
Non je n’ai pas accouché dans ma cuisine mais je n’ai quasi pas eu d’antidouleurs, et j’ai le sentiment d’avoir passé mon séjour à la maternité dans un placard à balais, abandonnée avec mon bébé. On est confinée dans la chambre, on ne croise donc aucune autre mère, on entend juste au loin d’autres bébés que le sien pleurer à l’unisson dans la nuit, on entend les applaudissements autour de l’hôpital à 20h et on a envie de crier : venez juste nous aider !
Les soignants se succèdent et font sûrement correctement leur travail, mais ils entrent et sortent masqués, avec leurs propres problèmes, leurs enfants à la maison dont ils ne peuvent pas faire l’école, les remaniements quotidiens du service etc.. mais en face il y a des nouvelles mères seules et désemparées.
J’ai sonné pour qu’on m’aide à la changer quand je ne pouvais pas me lever. On m’a dit : bah il va falloir prendre sur vous on ne pourra venir tout le temps. J’ai sonné quand il n’y avait pas de couverts sur mon plateau repas et je n’ai donc pu le manger que 3h après quand on est enfin venu. J’ai sonné pour lui donner à manger à elle, et quand on est venu 2h après on m’a dit que c’était trop tard que j’avais loupé le coche de la première mise au sein.
J’ai sonné pour dire que habituellement le soir on me faisait une piqûre d’anticoagulants. On n’est jamais venu et on m’a la faite 12h plus tard quand j’ai re-sonné pour en parler. Puis on est revenu pour me la faire une deuxième fois 10 minutes plus tard. Une personne moins attentive que moi aurait laissé faire cette surdose dangereuse.
J’ai sonné pour dire que c’était l’heure enfin ! De mon Doliprane, le seul antidouleur que j’avais le droit de prendre, on me l’a apporté 2h plus tard. Deux heures interminables quand on souffre de sa césarienne. J’ai sonné pour demander de l’aide pour retirer mon pansement. On n’est pas venu, on me l’a retiré 12h trop tard : j’ai donc développé une allergie au pansement qui s’est manifestée par une immense cicatrice en travers du ventre : une brûlure suintante et qui saignait, qui n’a toujours pas disparue 4 semaines plus tard. J’ai sonné pour des conseils sur l’allaitement, sur ses pleurs. On m’a répondu par l’interphone : bercez-la. On m’a dit face à mes pleurs de détresse : oh on va vous chercher un berceau cododo pour que vous puissiez la prendre dans vos bras. On n’est jamais revenu.
Je me suis tue quand j’ai entendu devant ma porte de chambre « Ah non moi les bébés de 2kg7, je m’en occupe pas ! », mon bébé faisait 2kg7. Je me suis tue quand à ma question : « Pourquoi vous dites que cet étage de la maternité est un étage particulier ? », on m’a répondu « C’est l’étage des bébés à problèmes, enfin, qui ne vont pas bien quoi ». J’aurais aimé le savoir quand la veille avant l’accouchement on m’a attribué cet étage. Je me suis tue quand le jour de ma sortie j’ai demandé si j’avais besoin avant de partir de la piqûre d’anticoagulants, et qu’on m’a répondu en me regardant bien dans les yeux : « Si elle veut ! ». Je me suis tue quand j’ai demandé à l’interphone lors d’une grosse crise de larmes du bébé une nuit, des astuces pour soulager son mal de ventre et qu’on m’a répondu de la mettre au sein, « Mais je n’allaite pas », « Ah dommage ».
Je me suis tue quand on m’a dit qu’il fallait que j’aille aux toilettes avant 20h, « mais je n’arrive pas à me lever pour y aller », « il va bien falloir car si à 20h ce n’est pas fait on va vous resonder et cette fois-ci sans anesthésie alors vous voyez… ». Je me suis tue. Je me suis tue quand on m’a demandé d’évaluer ma douleur sur une échelle subjective de 1 à 10 : j’ai répondu 7 (oui le Doliprane c’est bien mais étrangement pas suffisant). On m’a dit : « 7 vous êtes sûre ?! Naaaan ! », « ah bon alors euh… 4… ? », « ah oui là ok donc 4 c’est bien, pas besoin d’antalgiques supplémentaires ». Je me suis tue.
Face à tout ça, j’ai du faire un switch dans mon cerveau : j’ai oublié mon corps, j’ai oublié ma douleur, j’ai oublié les difficultés et j’ai tout donné pour que ma fille aille bien et ne prenne pas sur elle le stress que je vivais intérieurement. Je me suis levée, j’ai tout fait, j’ai même caché des biberons et des Doliprane car on ne me les donnait qu’au compte-gouttes. Je me suis transformé en survivante, en 2020, dans une clinique respectée, que j’avais choisi pour le bon accompagnement qu’elle propose à ses patientes.
Tous les repères sont bousculés à l’arrivée d’un enfant, je le savais. Mais aujourd’hui ce sont tous les repères de la vie, de la société qui sont chamboulés, pas juste de notre petit monde à nous.
Cela commence à faire beaucoup.
Il faut un village pour élever un enfant ? J’attends le mien.
Mathilde
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