Service public de la petite enfance : Parents & Féministes regrette la suppression de l’article 10 du projet de loi Plein Emploi, et appelle le gouvernement à renforcer ses ambitions

Paris, le 10 octobre 2023

Lors de l’examen du projet de loi Plein Emploi, les député.e.s ont supprimé l’article 10 du texte. Pour Parents & Féministes, cette abrogation ne se justifie pas. Même imparfait, le mécanisme de plan de rattrapage, en particulier, mérite d’être adopté. Pour autant, ce texte ne constitue pas à lui seul une politique assez ambitieuse pour la petite enfance. Les associations de défense des droits des femmes seront très vigilantes sur la réforme à venir des congés parentaux : les deux enjeux ne peuvent être dissociés. 

Depuis un an, notre association Parents & Féministes s’est activement mobilisée pour participer à la concertation autour du service public de la petite enfance, et nous avons formulé des propositions concrètes. Nous avons rencontré le cabinet du Ministre des Solidarités, et nous avons eu la possibilité de nous entretenir avec les coordinatrices de la concertation, Mesdames Lanthier et Domingo. 

Lors de sa présentation en Conseil des Ministres et de son arrivée au Parlement, nous avons accueilli l’article 10 du projet de loi Plein Emploi consacré au service public de la petite enfance sans enthousiasme mais sans opposition non plus. Cette position est à l’image de notre réaction lors de la restitution des travaux de la concertation : malgré des mesures intéressantes, le manque d’ambition en matière d’égalité entre les femmes et les hommes était criant. Le silence du gouvernement sur le congé co-parent/paternité et sur le droit opposable au mode de garde (promesse de campagne d’Emmanuel Macron) reste entier. 

Comme beaucoup, la suppression de l’article 10 du projet de loi par les député.e.s nous a surpris. Cette séquence montre toutefois qu’il existe des député.e.s engagé.e.s en faveur de la petite enfance dans tous les groupes parlementaires, et c’est une bonne nouvelle car on a souvent l’impression d’un manque de mobilisation politique sur ce sujet. 

L’article 10 contenait deux mesures importantes

L’article 10 prévoyait un mécanisme institutionnel pour établir des plans de rattrapage dans les territoires sous-dotés en modes de garde. Concrètement, cela permettait d’envisager que l’Etat, via les comités départementaux des Services aux familles, puisse intervenir directement dans certains territoires. Même si les détails n’étaient pas encore connus, et même si l’on pouvait regretter que cela n’aille pas assez loin sur le caractère contraignant, ces plans de rattrapage étaient dans leur principe une bonne nouvelle. Cela fait partie des mesures que nous recommandions depuis des mois. Les inégalités territoriales sont aujourd’hui immenses en matière de petite enfance. Nous appelons les parlementaires élu.es dans ces territoires sous-dotés à se mobiliser pour renforcer la prise en charge par l’Etat de ces plans de rattrapage. Dans 12 départements, moins de 50% des besoins en modes de garde des familles sont couverts.

L’article 10 avait également le mérite de clarifier la répartition des rôles entre les acteurs publics dans le domaine de la petite enfance. Il est dommage d’y renoncer. La gouvernance de la politique de la petite enfance est un serpent de mer, source d’inaction et d’inertie dans certains territoires, qui semblait réglé et semblait satisfaire les associations d’élus locaux. 

Un manque d’ambition et de crédibilité du gouvernement, notamment sur les objectifs de création de places en crèche et sur l’égalité femmes-hommes

Si l’article 10 ne constituait pas un recul, il n’était pas non plus aussi ambitieux que la communication du gouvernement voudrait le faire croire. 

L’enjeu principal est budgétaire. Certes, la Convention d’Objectif et de Gestion (COG) de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales (CNAF) prévoit une augmentation de deux milliards d’euros du budget de la branche famille, mais cela vient juste rattraper la ponction du même montant opérée l’an dernier. Rappelons que l’objectif de 200 000 places en crèche, pourtant déjà affiché dans la campagne présidentielle de 2017, a été repoussé à 2030 avec un objectif intermédiaire de 100 000 nouvelles places “d’accueil” d’ici 2027. Or, l’Etat ne s’engage que sur 35 000 créations nettes de places en crèche au niveau national dans la Convention d’Objectif et de Gestion de la CNAF. Il ne s’engage pas à augmenter le taux de familles bénéficiant d’un mode de garde : celui-ci stagnera à 56%. L’écart entre le discours et les engagements formellement pris ne peut qu’alimenter la défiance. L’impression de double discours persiste. 

Par ailleurs, aborder le service public de la petite enfance dans un projet sur l’emploi envoie un signal ambivalent. Les difficultés d’accès à l’emploi des femmes à cause des difficultés d’accès à des modes de garde adéquats sont indéniablement un sujet, mais ça n’est pas le seul enjeu pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Les politiques de petite enfance sont au croisement des droits des enfants, des inégalités parentales entre les hommes et les femmes, et de la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales précoces. Lors du précédent PLFSS, à l’automne 2022, Parents & Féministes avait publié une tribune pour replacer les enjeux de la petite enfance dans une perspective féministe.

L’article 10 ne répond pas non plus aux enjeux des dérives du secteur privé lucratif. L’étendard du “service public de la petite enfance”, brandi par le gouvernement, ne peut pas se résumer à une clarification des rôles entre autorités publiques. Cela passe aussi par un encadrement plus strict de ce secteur, largement subventionné.

Enfin, les conditions de travail, d’emploi et de rémunération des professionnel.les de la petite enfance n’étaient pas abordées dans ce texte, alors qu’il s’agit du cœur du problème. En l’état, nous ne pouvons qu’être solidaires des mouvements sociaux de ces prochains jours.

Notre vigilance est désormais concentrée sur la réforme des congés parentaux

Au cœur de l’été, la Ministre des Solidarités a annoncé son souhait de réformer le congé parental. Parents & Féministes salue le principe d’ouvrir ce débat. Néanmoins, si nous attendons les détails avant de nous prononcer définitivement, les premières perspectives sont inquiétantes. D’abord, rien n’a été annoncé sur l’extension du congé co-parent/congé paternité : or, nous pensons qu’une revalorisation du congé parental sans extension du congé co-parent pourrait avoir des effets délétères sur l’égalité entre les femmes et les hommes, a fortiori en l’état actuel des tensions dans le secteur de la petite enfance. Enfin, il est nécessaire qu’une telle réforme soit assortie d’une concertation : les associations de défense des droits des femmes doivent être entendues et consultées par le gouvernement.

A l’occasion des deux ans de l’extension du congé co-parent à 28 jours, Parents & Féministes a publié une tribune, appelant à ce que les congés parentaux deviennent vraiment égalitaires, dans l’intérêt des enfants et de tous les parents. Tout plaide en faveur de cette réforme : le bien-être des enfants, la qualité du lien précoce tissé entre les parents et leurs enfants, l’égalité entre les femmes et les hommes au sein du foyer, la lutte contre les discriminations professionnelles subies par les mères, et la santé publique puisque le congé paternité ou co-parent est un levier efficace pour prévenir des pathologies telles que la dépression du post-partum, qui touche 15 à 20% des mères après une naissance. 

Cette tribune est désormais signée par plus de 3000 personnes. Nous appelons les parlementaires et le gouvernement à s’en saisir, en apportant des précisions à l’occasion du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Contact : parentsetfeministes@gmail.com