Les quartiers s’embrasent : la faute aux parents ?

Nahel M., 17 ans, a été tué par la police lors d’un contrôle routier à Nanterre, et depuis, partout dans le pays, des épisodes de violences ont ponctué chaque nuit. 

En tant qu’association engagée sur les sujets de la parentalité et de l’enfance, nous condamnons les violences policières, d’autant plus lorsqu’elles s’exercent sur des enfants et des adolescents, et nous nous insurgeons également du fait que différents responsables rejettent la responsabilité des violences qui ont suivi sur des « parents » défaillants qui ne sauraient pas « tenir » les enfants. Dire cela ne signifie en rien que nous minimisons la gravité de certaines dégradations, dont les habitant.e.s des quartiers concernés seront les premières victimes.

Ainsi, ces derniers jours, Emmanuel Macron « appelle les parents à la responsabilité » et menace de poursuivre en justice “les parents qui n’éduquent pas leurs enfants”, tandis qu’Eric Dupont-Moretti considère que “ce n’est pas à l’Etat d’éduquer les enfants”. De manière générale, les responsables politiques surenchérissent : condamnation judiciaire pour les parents, sanctions économiques, stage d’autorité parentale, etc.

Nous ne nions pas qu’il existe, dans ces quartiers comme dans toutes les classes sociales, des parents défaillants, absents, ou dépassés. Mais ne nous y trompons pas : ces injonctions sont destinées uniquement aux classes populaires, ces « classes dangereuses » d’antan bien décrites par Marie Telling, qui nous rappelle que la Justice est historiquement bien plus dure avec les classes populaires qu’avec les classes favorisées. Dans « La puissance des mères », l’autrice et militante associative Fatima Ouassak souligne que les familles des quartiers populaires sont tenues pour responsables de la violence des jeunes et que la société les somme de les « tenir ».   

Ramener les révoltes urbaines à des problèmes d’éducation parentale dépolitise la question des violences policières et de l’abandon social, économique et politique des quartiers populaires. Les parents élèvent leurs enfants dans une société et l’éducation parentale n’est pas imperméable aux problèmes sociaux, surtout lorsque ceux-ci sont massifs. 

Les pouvoirs publics, depuis des décennies, n’ont pas su améliorer durablement les conditions de vie dans ces quartiers. Ni la marche de 1983 ni les révoltes de 2005 n’ont produit une réponse à la hauteur. Dans ces quartiers, les trajectoires de vie restent trop souvent limitées, les discriminations racistes et les inégalités sociales sont massives, les difficultés sociales sont concentrées et s’accumulent, les services publics sont sous-dotés, et la police trop souvent humilie, voire violente ou tue. L’Education nationale, institution chargée d’éduquer les enfants aux côtés des parents, est souvent le dernier rempart sur lequel on compte, de manière illusoire, pour pallier toutes ces difficultés, sans les moyens assortis.

Comment oublier ces lourdes responsabilités institutionnelles, et charger la barque des parents sans y faire référence ? La colère gronde depuis longtemps en raison de multiples défaillances collectives, et il nous semble facile et particulièrement injuste d’exiger des parents concernés de maîtriser l’expression de cette colère par leurs enfants, et de les blâmer si cette obligation de résultat n’est pas atteinte. C’est aussi oublier les efforts quotidiens de bien des familles, dont beaucoup de mères solos, qui mènent de front leur parentalité, chaque jour, malgré les difficultés de la vie, et qui œuvrent dans leur quartier, aussi bien aujourd’hui que lorsque l’actualité n’est pas braquée sur elles et eux. Où seront les caméras lorsque ces parents se mobiliseront demain, comme régulièrement, pour l’école ou pour l’égalité ? Elles seront probablement parties. 

Et notons que ces appels à « tenir ses enfants » renvoient à une certaine idée de l’autorité viriliste, qui se traduit notamment par une légitimation des « violences éducatives », comme le montre le buzz autour de la vidéo d’un père paraissant mettre son fils dans le coffre de la voiture, ou encore l’appel d’un préfet enjoignant les parents à mettre « deux claques et au lit ». Là encore, cela ne s’adresse pas à tous les enfants et parents, mais bien à ceux des quartiers populaires, en majorité racisés. On entend moins d’appels aux claques quand il s’agit des enfants faillibles des élites politiques et des classes supérieures. 

Par ailleurs, en tant qu’association féministe, nous ne pouvons pas ne pas voir que le virilisme imprègne les épisodes de ces derniers jours, que ce soit du côté de ceux qui portent l’uniforme ou de ceux qui tirent des mortiers. Nous croyons qu’il serait bon de repenser nos rapports sociétaux hors des normes virilistes.

Parents & Féministes souhaite exprimer ici sa solidarité et sa colère face à l’actualité et face à cette responsabilité placée sur les familles des classes et quartiers populaires, et à la violence pronée envers leurs enfants. Nous vous invitons à écouter la parole des collectifs de ces quartiers, comme le Front de Mères, ou des intellectuelles qui connaissent ces quartiers comme Fatima Ouassak, Kaoutar Harchi, Nesrine Slaoui (et beaucoup d’autres) ou encore des podcasts comme les Enfants du Bruit et de l’Odeur.

Nous invitons les médias, les journalistes, les élu.e.s à tendre le micro et l’oreille : écoutez et entendez les parents dans tous les territoires, aujourd’hui mais aussi quand le calme sera revenu. Elles et ils ont des solutions à proposer. Les parents ont beaucoup à dire, y compris sur des réalités complexes souvent invisibilisées.

Et enfin, comment ne pas être effrayé.e.s par les discours décomplexés de l’extrême droite qui s’expriment depuis quelques jours ? L’ampleur du soutien au policier qui a tiré sur Nahel est effrayant, les discours racistes et virilistes décomplexés de l’extrême droite le sont tout autant. Le harcèlement des comptes féministes et antiracistes par l’extrême droite ces derniers jours sur les réseaux sociaux est intense et inquiétant. La lutte contre l’extrême droite, qui ne sera jamais l’alliée des droits des femmes ni des droits humains, doit s’accentuer.